mercredi 11 avril 2018

Génocide au Rwanda et déshumanisation des corps noirs


TW : Violences, genocide

Le mois d'avril est toujours particulier pour les Rwandais.
Chaque année, ce mois est synonyme de deuil et de commémorations.
Près de 800.000 Rwandais sont morts entre avril et juin 1994.  
Aujourd'hui, j'ai envie de parler de ce sujet sous l’angle des médias car je pense qu’étudier le traitement médiatique du génocide rwandais permet de mieux comprendre la déshumanisation des corps noirs à l’échelle globale dans les médias.

Les premières images
Je ne me souviens pas à quel âge j'ai entendu parler du génocide pour la première fois. J'avais un peu plus d'un an lorsque le génocide a commencé en avril 1994. J'étais donc, beaucoup trop jeune pour comprendre ce qu’il se passait et j'avais également la chance de ne pas vivre au Rwanda durant cette période.
Ce dont je me souviens par contre, ce sont les premiers reportages que j'ai vu sur le sujet.
J'entendais pour la première fois, à la télévision belge ou française des gens qui parlaient ma langue et qui me ressemblaient. Et malheureusement, j’ai entendu et vu les pires atrocités.
Je me souviens encore du regard de ces hommes et de ces femmes s'agenouillant devant des journalistes et les suppliants pour être sauvés de l'horreur. J’avais 8 ou 9 ans et j’étais sous le choc.
Les premières images de mon pays furent des images d'humiliation et de tristesse.

Des images pour sensibiliser? 
Aujourd'hui encore, le gouvernement rwandais utilise les corps pour sensibiliser
Il est devenu assez banal de tomber sur des photos d'os, de crânes appartenant aux victimes du génocide. Et même si le but est de dénoncer la tragédie, je trouve tout de même que l'utilisation de ce type d'images extrêmement problématique.
Les journalistes de l'époque ont souhaité alerté l’opinion sur ce conflit. Et même si avec le recul, j’estime qu’ils ont participé à une déshumanisation des corps noirs, ce que je ne comprends pas, c’est l’intérêt de rediffuser ces images aujourd’hui. Car les corps sont déshumanisés lorsque des images et des scénarios brutaux sont montrés au grand public alors que ça n’a aucun intérêt.
Derrière ces os, derrière ces corps, ce sont des individus avec leur histoire, leur passé qui sont exposés. Aucun-e d'entre eux n'a choisi de se retrouver là et aucun-e d'entre eux/elles n'a reçu une sépulture descente.
Je pense qu'après quasiment 24 ans, il est temps de leur accorder une certaine pudeur.

La mort de Alan Kurdi

La mort de Alan Kurdi en 2015 a suscité énormément d’émoi. Alan est le petit garçon syrien, retrouvé mort sur les plages de Turquie. Voir son corps sans vie a dévasté énormément de gens.
Pourtant, l’émoi provoqué par sa photo m’a questionnée.

Pourquoi sa photo a provoqué plus d’empathie que les innombrables morts en Méditerranée ?
La seule photo d’un enfant « blanc »[1] échoué sur le sable vaut-elle plus que les milliers de morts annuels ?
Je pense que la force de cette photo se trouve dans le fait que ce genre d’images soient rares. On 
D’ailleurs, l’ONG ‘Save the Children’ a utilisé une jeune fille britanique pour jouer une jeune syrienne. Grâce à ce procédé, la vidéo a fait le buzz. https://www.youtube.com/watch?v=RBQ-IoHfimQ

Les médias ont toujours été utilisés comme miroir de la société. Ce qu'on voit dans les médias, on a tendance à le reproduire et à le trouver normal. Avec les images des corps noirs, on est entré dans un cercle vicieux car nos écrans vont désensibiliser la société.
A force de voir de nombreux corps noirs, s'échouer et mourir dans la méditerranée, on va estimer que c'est normal.
Les images peuvent provoquer de l'empathie, mais montrer continuellement certains corps dans des scénarios horribles peut aussi renforcer l'idée que les corps noirs ne méritent pas le même respect que les autres corps.

Ce qu’on peut faire

En tant que militant-e en ligne, nous sommes parfois les premiers à partager du contenu choquant qui mettent les personnes noires dans des positions dégradantes, dans l'espoir de sensibiliser. Mais très souvent, on fait plus de mal que de bien en nourrissant des clichés. 
Ce qu'on peut faire aussi, c'est dénoncer les médias et/ou les ONG qui utilisent ces mêmes procédés.

N'oublions pas que nous sommes les seuls garants de notre dignité. 
Source : 
TECHNOLOGY AND THE DEHUMANIZATION OF THE BLACK BODY




*Dans cet article, je ne souhaite pas utiliser les termes de 'hutus' ou 'tutsis. 

Ce n'est pas parce que je souhaite être colorblind mais c'est surtout pour éviter de provoquer des angoisses aux personnes concernées et ça rejoint la position que j'ai énoncée dans cet article. 

**J'ai utilisé très peu de sources dans cet article mais j'aimerais en savoir plus sur ce sujet. N'hésitez pas à m'envoyer des ressources sur ce sujet. 




[1] Je sais qu’il n’est pas blanc occidental, mais il est blanc de peau. Et beaucoup d’individus se sont enfin dit, ‘il pourrait être mon fils. Il ressemble à mon fils.