samedi 8 décembre 2018

Zwarte Piet, ce rite d’initation au racisme

En Belgique, impossible de passer le mois de décembre sans voir Saint-Nicolas et son acolyte, le Père Fouettard.

Selon la légende, Père Fouettard (Zwarte Piet en néerlandais) est le serviteur de Saint-Nicolas... Il a deux rôles : l’aider à distribuer les cadeaux et punir les enfants turbulents !

Histoire et origines de Zwarte Piet...

Le personnage de Zwarte Piet atteste de la présence des Noirs en Europe. ('the reign of Afropeanism)

 L’idée que les Noirs arrivent en Europe après la colonisation est fausse. Les peintures des Primitifs flamands regorgent de personnages noires vivant en Flandre ou aux Pays-Bas. Dans ces fresques, les Noirs ne sont pas tous des esclaves, certains font partie d’un ordre de Chrétiens qui ont combattu les musulmans. L’idée que les seuls Noirs d'Europe sont les Maures, est fausse.  Les primitifs flamands ne sont pas les seuls à représenter des Noires :
  • Dominico Giovanni et son serviteur... 


Ce tableau est très connu mais les analyses plus récentes affirment que le titre n’est pas logique. La symétrie entre les deux personnages montre qu’ils sont sur un même pied d’égalité et il y a un air de famille entre ces deux personnes. Il s’agit clairement d’un père et de son fils.

  • Les Noirauds

« Les Noirauds font partie du folklore bruxellois depuis près de 140 ans. A l'origine, il s'agit d'un rassemblement de bourgeois bruxellois qui décident de collecter de l'argent pour sauver une crèche menacée de faillite. Pour préserver leur anonymat, ils se griment en notables africains, se teignant le visage en noir. A travers les années, la tradition a subsisté. » Source

Dans ce cas-ci, les personnes se griment en rois africains. Comme le personnage de Zwarte Piet, le costume est soigné et onéreux. Quand on regarde l’accoutrement de Zwarte Piet, on voit bien que c'est une personne bourgeoise. Il n'a rien d'un pauvre ou d'un esclave: il ne ressemble pas à un serviteur.

Dans tous les cas, la pratique du blackface apparaît à la fin du 18e siècle, lors de la création du racisme en Europe. A ce moment-là, les Noirs sont moqués et le noir devient synonyme de serviteur.
Les rites de blackface permettent de se moquer des Noirs... Et ces rites vont de paires avec la déshumanisation des Noirs.

A l'époque, beaucoup de Noirs présents en Europe sont transformés en « serviteur », « esclave » : ils sont tués, rejetés, envoyés aux Etats-Unis pour devenir esclave dans le cadre du commerce triangulaire.

Il est important de comprendre; quel est l'intérêt de cacher la présence de ces personnes noires en Europe ? Et en quoi la pratique du blackface continue à porter préjudice aux personnes noires d’Europe ?

Le racisme a de multiples facettes et notamment : la perpétuation de traditions, l’occultation de certains faits historiques et la désinformation.

Rite d’initiation au racisme...

Pour Mireille Tsheusi Robert, la figure de Zwarte Piet est un rite d'initiation au racisme en Belgique...

Dans cet article, je vais vous partager mes notes prises lors de la conférence sur Zwarte Piet à l’ULB, fin 2016..

"La figure de Père fouettard renvoie à la vision coloniale qu'on a des afrodescendants... Saint-Nicolas existe dans 44 pays dans le monde et la majorité des pays n'a pas cette 2e figure noire."

Mireille Tsheusi est chercheuse associative. Elle a fait une étude avec l’ASBL Change afin de déterminer l’influence de Père Fouettard sur les enfants africains. 70 enfants d'origine africaine de 3 à 9 ans ont été interrogés.

"Dans les discours des enfants, 4 stéréotypes attribués aux Africains sont revenus lorsqu'on leur demandait de décrire le Père Fouettard:

1.     il est méchant

2.     il est paresseux

3.     il est servile

4.     il est divertissant (amusant, drôle, il sait danser...)

Tous les ans, on va faire cette fête : on répète les mêmes gestes avec les mêmes acteurs. Ce culte est doublement efficace car à cette âge-là, on est fort impacté par les images. Il n'y personne qui trouve ça anormal. C’est pour ça qu’il est important d’instaurer des ruptures dès maintenant et de ne pas laisser les enfants se laisser avoir dans ces rites racistes. On apprend aux enfants le mépris et la discrimination de façon très implicite. Quand on connait la situation dans laquelle les afrodescendant.e.s se trouvent en Belgique, on se rend compte que ce type d'initiation a des conséquences tangibles dans nos vies...



La contestation s’organise....En Belgique aussi !

« Queen Nikkolah est une performance qui questionne les limites de race et de genre de la tradition de Saint-Nicolas. Il s’agit d’approfondir le débat sur la perpétuation des schémas coloniaux inhérent à cette tradition et leurs effets sur l’imaginaire de l’enfant. Alors que la question est souvent portée sur la noirceur de Père Fouettard / Zwarte Piet, je la déplace pour questionner la blancheur et le genre même de Saint-Nicolas, comme éléments tout aussi déterminant dans l’apprentissage inconscient du privilège (ou désa- vantage) racial et de genre dans l’enfance. Qui est bon? Qui est violent? Qui travaille pour qui? Cette action artistique promeut une vision du patrimoine culturel, non comme un concept figé, mais comme s’adaptant aux mouvements de l’Histoire pour assurer sa longévité. La tradition de Saint-Nicolas a déjà montré des adaptations autour du personnage de Zwarte Piet; une lente déracialisation (années 50, il est noir parce que africain, années 90 parce qu’il a de la suie sur le visage), d’une image d’asservissement à une image de divertissement, etc. Queen Nikkolah propose une future adaptation d’une société avec une réelle égalité des chances. La performance présente le personnage de Queen Nikkolah, une version féminine et noire de Saint-Nicolas, dans les mêmes conditions de démonstration que les Saint-Nicolas déguisés en période de fête: Il s’agit d’un acte simple qui peut être aussi bien accueilli que rejeté mais permet une première déconstruction des schémas hérités. Il offre également l’occasion aux enfants racisés ou non de célébrer l’esssence même de la tradition: leur faire plaisir! » Descrpiton de l'evènement

Son spectacle est une belle manière de profiter de cette fête avec la résilience qui collent si bien à la peau des afrodescendants.

Sources et pour en savoir plus :


lundi 3 décembre 2018

Femmes noires et IST : comment se protéger?

J'ai appris la nouvelle un jeudi soir de novembre.
Je m'ennuyais terriblement dans la salle d'attente du centre de dépistage et j'essayais tant bien que mal de me concentrer sur ma lecture malgré le balai incessant de personnes venues se faire tester.
C'était la 6e fois que je passais par là et presque à chaque fois, je repartais avec une bonne nouvelle.
Pour la première fois de ma vie, je n'avais aucune crainte, aucune appréhension et j'étais persuadée que tous mes résultats seraient négatifs.
Une fois dans le bureau du médecin, les résultats tombent. Tous sont négatifs, sauf pour la chlamydia.
Je confirmais la statistique : 1 jeune sur 20 est porteur de la chlamydia. Au-delà de la surprise ou de la honte, cette nouvelle confirmait surtout les soupçons que j'avais sur l'infidélité de mon partenaire....
Mwasi, collectif afroféministe


Réflexions sur ma propre expérience...
A l'occasion de la journée mondiale contre le VIH/SIDA, je souhaite écrire sur ce sujet assez tabou et mettre en avant ma propre expérience. J'ai envie d'écrire, tout en sachant que ça peut avoir des répercussions sur ma vie, ma réputation et ma famille. Le problème, c'est qu'en gardant le silence, j'aurais l'impression de faire partie du problème.
Je suis une femme noire, j'ai 25 ans et j'ai la chance d'être séronégative. Je ne pense pas avoir une vie sexuelle très active ou avoir des pratiques très à risque.  Je fais très attention, je me fais dépister 2 fois par an et j'ai presque toujours eu des partenaires sur du long terme avec qui, j'ai systématiquement fait des tests avant d'arrêter les préservatifs.
J'ai commencé ma vie sexuelle il y a seulement 6 ans et j'ai eu 2 IST ces 4 dernières années. Je pense que ce n'est pas normal et je crois qu'être une"femme noire" y est pour quelque chose... J'ai l'impression d'avoir couché avec des menteurs et des gamins... Des personnes qui ont des comportements dangereux et quqi me rappellent tous ces gens qui prennent le volant en étant ivre, qui mettent en péril la vie des autres.

Pour mieux comprendre la situation des femmes noires dans le monde, voici quelques faits bon à savoir : 


  • "Les adolescentes de 10 à 19 ans sont surreprésentées dans les cas de nouvelles infections en Afrique. En 2016, les nouvelles infections chez les jeunes filles (15-24 ans) étaient 44% plus nombreuses que chez les hommes du même âge." (Rapport Avert, Key Infected Populations) Ces chiffres prouvent bien qu'elles ont des rapports sexuels avec des personnes bien plus âgées qu'elles. On peut émettre différentes hypothèses pour expliquer ça : viol, travail du sexe, précarité...
  • Les personnes noires qui sont contaminées en France, le sont, durant leurs premières années sur le continent européen.(Kitambala) "Depuis plusieurs années, des études quantitatives comme l’enquête Parcours, réalisée par l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites) tentent d’évaluer l’impact du vih et de l’hépatite B sur la qualité de vie des « migrant·e·s subsaharien·ne·s ». Si certain·e·s d’entre elles·eux sont originaires de pays où l’épidémie reste virulente, de nouvelles données virologiques démontrent qu’une partie des infections ont lieu en France, notamment dans les premières années qui suivent l’arrivée des africain·e·s subsaharien·ne·s sur le territoire. C’est donc durant ces périodes d’instabilité, de grande précarité, d’absence de droits, que les personnes ont des pratiques à risques et s’infectent au vih."
  • "Le couple, même marié, ne protège pas les femmes contre le VIH-Sida, beaucoup de femmes hétérosexuelles contractent le VIH-Sida alors qu'elles ont des rapports sexuels réguliers avec un seul partenaire (concubinage ou mariage). Elles découvrent leur statut sérologique plus tardivement, n'ayant pas eu le réflexe de faire des dépistages réguliers, ce qui a des conséquences lourdes sur l'évolution et la prise en charge de la maladie."(Mwasi)

Cette situation de grande vulnérabilité provient de facteurs multiples : problèmes d'accès à l'information et aux soins médicaux. Mais aussi culture du viol, misogynie, manque d'éducation à la vie sexuelle et affective.... Les histoires de viols ne sont pas non plus à négliger car malheureusement, beaucoup d'hommes n'entendent pas lorsqu'on exige d'utiliser un préservatif.


Rapport à la sexualité, pistes d'action et outils d'empowerment
Depuis la libération sexuelle en Europe, il y a un rapport désinvolte à la sexualité. Sur Internet, j'ai souvent lu/écouté des témoignages de personnes qui désacralisaient totalement la sexualité. Cependant, je pense que ce rapport à la sexualité est un privilège qui n'est valable que pour une certaine catégorie de personnes : blancs.hes et hétérosexuelles...Je ne pense pas qu'on puisse appréhender son rapport à la sexualité de la même façon lorsqu'on fait partie d'un groupe à risque et fortement exposé aux IST. C'est pour cette raison qu'il me semble indispensable de discuter de ces sujets entre afroféministes et d'apporter des réponses spécifiques à nos besoins. Le problème, c'est qu'on manque de leaders d'opinions et de femmes qui osent parler de ces sujets sans tabou.

Comment se protéger?  Rester sur vos gardes + Dépistage !

  • En tant que femme noire dans ce monde, nous n'avons que notre cerveau pour nous protéger.
A cause du contexte socio-culturel dans lequel on se trouve en Europe, je conseillerai aux jeunes femmes noires de s'informer et de prendre leur temps avant de commencer leur vie sexuelle.
Le savoir est une arme : il faut se protéger, se dépister et connaitre son statut sérologique.


  • Exiger à son partenaire de faire des tests mais ne pas faire confiance trop vite.

Si vous connaissez votre statut sérologique, vous pouvez vous protéger et protéger les autres. Mais attention à ne pas oublier toutes les autres IST, auxquelles j'ai moi-même été confrontées qui se soignent souvent très facilement mais encore faut-il les détecter à temps...